Esprit du Carmel –2–

ESPRIT DU CARMEL -2-

 

LES SOURCES

Le prophète Élie

S’il est certain que des « écoles de prophètes » furent établies sur le Mont-Carmel, à la suite d’Élie et d’Élisée, en revanche, il est impossible de savoir de quelle manière et jusqu’à quelle date elles se perpétuèrent. Et, cependant, si mystérieuses que soient ses origines, le Carmel n’a jamais cessé de se réclamer d’Élie, et de voir en lui l’instituteur de cette forme de vie érémitique et prophétique qui le caractérise. Non point qu’Élie ait introduit dans le cadre de la religion de l’Ancien Testament un esprit particulier, une doctrine nouvelle, une voie personnelle, Élie, au contraire, se situe dans la lignée des justes et des Prophètes de l’Ancienne Alliance.

Mais ses disciples ont retenu de lui cette note distinctive : Il est cet homme qui, saisi par l’esprit de Yahweh, s’enfonça dans la solitude, et qui, puisant au « torrent de Kérith », but au fleuve d’eau vive, et goûta, dans la contemplation, la volupté divine. Si l’on veut donc à tout prix que des textes nous livrent l’esprit du Carmel, c’est sans nul doute aux récits des Livres de Rois concernant le prophète qu’il faut se reporter. Le cycle d’Élie s’étend de 1 Rois 17 à 2 Rois 2. En eux, en effet, résonne cette note fondamentale qui se répercutera au long des siècles, non seulement dans les solitudes rocheuses du mont Carmel, mais à travers toute l’histoire de l’Ordre. En Élie, le Carmel se voit comme un miroir. Dans sa vie  « érémitique et prophétique », il trouve exprimé l’idéal qu’il porte en son intime. C’est en se penchant sur la vie d’Élie que le carme, ou la carmélite, sent s’éveiller en lui la soif de la contemplation. Il perçoit sa parenté profonde avec cet homme qui  « se tenait en présence du Dieu vivant ». S’il partage sa faiblesse et ses angoisses, il communie aussi à sa foi et à son zèle pour « Yaweh Sabaoth », et pressent les délices de la vie cachée en Dieu, qu’expérimenta le Prophète. Et lorsqu’il découvre, à la faveur du texte inspiré, qu’Élie, « avec la force que lui donna la nourriture (divine), marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à la montagne de Dieu, l’Horeb » (1 Rois 19, 8), il n’est pas surpris de cette démarche. Comment, en effet, le Prophète n’aurait-il pas été attiré vers ce lieu, où plusieurs siècles plus tôt s’était produit un fait capital pour l’histoire religieuse de l’humanité : la Révélation de Dieu à Moïse ? 

C’est là, nous dit l’Exode, dans l’âpre désert du Sinaï, que Moïse perçut, grâce à cette flamme de feu, qui « brûlait dans le buisson sans la consumer » (Ex 3, 2) la mystérieuse présence de Yahweh. C’est là que lui furent révélées, avec le Nom  « incommunicable », la transcendance et la bienveillance divines. C’est là, enfin, que Moïse comprit qu’il devait faire connaître à ceux dont il avait la charge ce qu’il avait été admis à contempler.  « Va vers les enfants d’Israël et dis-leur » : « "Je Suis" m’a envoyé vers vous » (Ex 3, 14). 

Comment en vérité, Élie, ce Père de la vie contemplative, n’aurait-il pas, quelques siècles plus tard, été atiré vers cette montagne où Dieu avait parlé à Moïse  « comme un homme parle avec son ami » (Ex 33, 11) où l’homme avait osé adresser à Dieu cette prière :  « Fais moi, de grâce, voir ta gloire » (Ex 33, 18). Comment n’aurait-il pas perçu que, dans cette scène de l’Horeb, étaient déjà contenus les éléments essentiels de la contemplation ? On peut donc dire, qu’ayant trouvé en Élie son modèle, le carme se porte avec lui vers les origines mêmes de toute vie contemplative : à moins qu’il ne soit encore plus exact de dire, que, trouvant l’expérience contemplative des origines, portée chez Élie à un très haut degré de pureté, de dépouillement et d’épanouissement, il ne se sente obligé, pour la renouveler dans son âme, de restaurer également en cette dernière le climat où jadis cette vie se développa : le désert, avec sa solitude spirituelle et son silence ; et qu’il ne soit à son tour contraint d’entreprendre cette marche persévérante vers la montagne de Dieu où le feu brûle sans se consumer. Pour qu’elle soit vivifiée à travers les siècles, il faudra toujours à la spiritualité carmélitaine le souffle des hauts lieux, et une forme de vie assez recueillie pour permettre à l’âme de percevoir « dans le bruit d’une brise légère » (une voie de fin silence) 1 Rois 19, 12), la divine présence. Ce perpétuel retour à la solitude et au recueillement ainsi que l’appel nostalgique au dépouillement : « Je l’attirerai au désert et je lui parlerai au cœur » (Os 2, 14), demeurent, pour le carme, l’âme même de sa vocation. Aussi regarde-t-il comme des guides ceux qui se sont avancés dans les chemins de l’union divine et ont goûté la douceur des choses d’en haut. Avec Élisée, le carme prie donc Élie, son Père de  « lui accorder une double part de son esprit » (2 Rois 2, 9). Cet esprit peut-on le caractériser ? En dépit du mystère des origines, l’hésitation n’est pas possible. Il est fait essentiellement d’une aspiration à l’union avec Dieu. On dira qu’une telle aspiration est commune à tous les spirituels. Il est vrai ! Cependant, elle revêt au Carmel un aspect d’immédiateté, une exigence de réalisation qui spécifient l’attitude religieuse de l’Ordre. Le Carmel fera de la contemplation son but propre et, pour y parvenir, il pratiquera un dégagement absolu à l’égard, sinon des exigences du moins, des contingences temporelles. Éminemment théocentrique, le Carmel se réfère tout entier au Dieu vivant :  « Yaweh est vivant, le Dieu d’Israël, que je sers ». Dès la plus haute époque, cette union à Dieu a constitué sa raison d’être et son âme. Sans doute ce sont « les rayons anticipés de la grâce rédemptrice » du Sauveur qui l’ont rendue possible. Sans doute aussi a-t-elle bénéficié des progrès et du développement de la Révélation à travers les âges. Il demeure cependant qu’au Carmel, c’est bien l’union à Dieu qui dès les origines, constitue le fait central. Caractérisé par ne prise de conscience de la présence au cœur de l’homme, de l’Être même de Dieu, l’esprit du Carmel entraîne avec lui un sens du sacré et une soif des choses divines. Les progrès de « l’expérience de Dieu » ne feront qu’approfondir et développer cet élément de base vraiment essentiel. Sans lui, ni le savant ni le simple ne pourraient entretenir de relations avec Dieu, ni les intensifier. 

Si particulier qu’il soit, et bien qu’il se dérobe à toute analyse, cet esprit s’identifie à la mystique la plus authentique. La tradition carmélitaine n’offre aucune trace d’initiation ou d’ésotérisme, en revanche elle est riche d’une très haute expérience spirituelle. En cette manière deux grands maîtres : sainte Thérèse d’Avila, « mère des spirituels », et saint Jean de la Croix,  « docteur mystique », exercent par leurs œuvres une mission dans l’Église. Leur enseignement qui n’est prisonnier d’aucune technique, est suprêmement objectif. Il atteste la possibilité et la réalité d’un contact direct avec Dieu et la nécessité, pour y parvenir, de recourir à une certaine forme spirituelle de vie érémitique. La tradition carmélitaine n’assigne pas de date à ses premières manifestations, mais elle affirme avec force qu’il est possible à l’homme de vivre authentiquement de vie divine. Il lui suffira de réaliser en lui-même le  « climat » du désert originel et, dans cette solitude intérieure, de se  « tenir en présence du Dieu vivant ». Alors, la lumière de vérité viendra purifier, illuminer et embraser son âme. Les bases sont désormais posées d’une expérience personnelle de Dieu, et des relations intimes que la créature peut entretenir avec lui. Remontant les âges, le Carmel n’hésitera jamais à se reconnaître dans le premier ermite, dont la Bible nous a proposé les traits, et à modeler sa vie sur celle de ces hommes voués, dans le silence et la solitude, à la contemplation des choses divines.

Paul-Marie de la Croix o.c.d.
 « L'Esprit du Carmel »
Éditions du Carmel, Collection ExistenCiel, 2001

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