V.
Seigneur, ouvre mes lèvres.
R. Et ma bouche publiera ta louange.
V.
Gloire au Père, et au Fils et au Saint Esprit.
R. Seigneur, à notre secours.
Mais comment peux-tu survivre,
Ô ma vie, en ne vivant pas où tu vis,
Quand déjà il te faudrait
Mourir sous le coup des flèches
De ce qu'en ton c?ur tu conçois de l'Aimé ?
Que ne guéris-tu ce c?ur,
Puisque c'est de toi qu'il a reçu sa plaie ?
Et me l'ayant dérobé,
Pourquoi le laisser ainsi
Et ne pas emporter le vol que tu fis ?
Éteins mes impatiences,
Puisque d'y mettre fin nul n'a le pouvoir,
Et puissent mes yeux te voir
Puisque tu es leur lumière,
Et c'est pour toi seul que je les veux garder.
Découvre-moi ta présence,
Que la vision de ta beauté me tue !
Qui pour l'amour est en peine
Guérir ne peut, tu le sais,
Qu'en présence du visage de l'Aimé.
Récit du Martyre des seize Carmélites
par l'une de leurs s?urs ayant échappé à la mort
Elles remercièrent leurs juges du bonheur qu'ils leur procuraient.
Nos s?urs n'arrivèrent à Paris que le dimanche 13 juillet, et la journée entière se passa à les conduire de prison en prison, qui toutes se trouvèrent tellement encombrées, qu'il n?y restait point de place pour les y recevoir. On fut donc obligé de les mener à la Conciergerie, où renfermées dans des cachots, elles restèrent jusqu'au 29 messidor (17 juillet), époque où elles furent conduites devant le tribunal révolutionnaire? (À la fin de l'interrogatoire, le président Fouquier-Tinville déclara) : « C'est d'après la vérification de ces faits qu'au nom de la nation, le tribunal prononce, contre les ex-religieuses de Compiègne, les citoyennes, Lidoine, Croissy, Thouret, etc., la peine de mort. » Ce mot de mort ne fut pas plutôt prononcé, que la joie se peignit sur tous les visages des condamnées. Elles remercièrent leurs juges du bonheur qu'ils leur procuraient. Descendues du tribunal, elles firent leurs adieux à ceux des prisonniers qu'elles purent voir, leur témoignèrent leur reconnaissance pour l'intérêt et la sensibilité qu'ils montraient à leur égard, se recommandèrent à leurs prières et les encouragèrent à la patience, leur promettant de ne pas les oublier devant Dieu. Ces fidèles épouses de Jésus Christ, ayant fait, dès le matin, leur préparation à la mort, ne songèrent plus qu'à chanter les louanges du Seigneur ; car aussitôt qu'elles furent montées dans les charrettes ou les tombereaux qui devaient les conduire à la barrière du Trône, qui avait succédé depuis peu, pour les exécutions, à la Place de la Révolution, autrement dite Place Louis XV, elles chantèrent le psaume « Miserere », l'antienne à la Sainte Vierge « Salve, Regina », et le « Te deum ». Arrivées au pied de l'échafaud, elles entonnèrent le « Veni Creator », renouvelèrent les promesses de leur baptême et leurs v?ux de religion. On remarquait, non sans étonnement, que le bourreau, la garde, le peuple les laissaient remplir ces divers actes de religion sans témoigner la plus légère humeur ou impatience? Si quelques mots se faisaient entendre, ce n'était que pour plaindre ces innocentes victimes et les admirer. On les entendait dire : « Oh, les belles âmes ! quel air céleste ! Si elles ne vont pas tout droit en Paradis, il faut qu'il n'y en ait point. » La Révérende Mère Prieure, à l'exemple de la mère des Macchabées, demanda et obtint de l'exécuteur de ne passer que la dernière. Ainsi se consommèrent, de la part des accusateurs et des juges, l'acte le plus atroce ; et de la part de leurs victimes, le courage le plus héroïque, le 17 juillet 1794.
(Intentions libres et personnelles)